Anna LivebardonPoésieDe Tous Les Jours → EGYPTE

EGYPTE

par
Anna Livebardon
Tiré de son livre De Tous Les Jours
© 1980 Anna Livebardon

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EGYPTE

Ce jour-là nous étions au Caire,
« Le Renaissance » dans la nuit
Faisait escale. Le matin
J'avais commandé
Un copieux petit déjeuner ;
On avait ce que l'on voulait
Sur ce bateau. Le matin tu ne manges pas,
Pourquoi commander tout cela
Avait dit mon époux. Chéri !
Je vais placer dans mon cabas
Tout ce que je ne mangerai pas,
On emportera tout. Voilà.
Je trouverai bien un vieux chien,
Un petit âne, quelqu'un enfin
A qui faire ma petite obole ;
Le cabas était plutôt lourd.
Il dut le porter, cher homme.
Au Caire nous étions attablés
Et dégustions notre café.
Une fillette pâle, frêle,
Dix ans peut-être, s'est approchée ;
Dans ses bras maigres elle tenait
Un bébé de huit mois à peine,
Tout nu, un regard étonné,
Des yeux ronds comme des écuelles.
Elle s'est approchée de moi,
Un petit signe, elle était là,
Je lui ai donné dans la main
Deux croissants et un petit pain,
Quelques morceaux de sucre aussi.
Elle en mit un dedans la bouche
Du petit frère qu'elle portait;
Pour cela elle a retiré le morceau
De citron usé, qu'il suçait avec insistance ;
Hélas! il s'est mis à hurler,
C'était trop doux, c'était trop tendre ;
Un policier est arrivé :
« Allez, allez, enfant, décampe,
Au Caire interdit de mendier ».
Le garçon, lui, nous rapportait
Dans le même instant la monnaie
Qui nous revenait pour le prix des petits cafés.
Prenant l'assiette, le policier a recompté,
Il a appelé le patron,
L'a sermonné, quelle leçon !
Et le garçon a rapporté
Pour nous, un peu plus de monnaie.
La petite fille était là,
Au bout de la rue, dans le coin,
Elle me regardait de loin
Et moi j'ai dit : « Merci garçon »
Et j'ai glissé dans mon cabas
Les pièces qui restaient pour elle,
Et sur la note du café
J'ai écrit : Tout ça c'est donné,
Rien ne m'a été dérobé.
Une dame de Renaissance
Et de mon nom, je l'ai signée.
Je l'ai glissée près des oranges
Et en partant sans avoir l'air,
J'ai fait un signe, viens ma belle,
Le cabas je lui ai donné
Avec tout ce qu'il contenait
Elle est partie comme une flèche
Au Caire il ne faut pas mendier
Mais des cadeaux on peut en faire.
Hélas, il ne restait plus rien
Pour les ânes, les pauvres chiens ;
Je recommencerai demain,
Allons acheter un couffin !

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