Anna LivebardonPoésieDe Tous Les Jours → LE VIEUX PAYSAN

LE VIEUX PAYSAN

par
Anna Livebardon
Tiré de son livre De Tous Les Jours
© 1980 Anna Livebardon

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LE VIEUX PAYSAN

Tu es jeune, en vacances, veux-tu que nous parlions,
De mes vieux souvenirs, de ma lointaine enfance ?
Puisque tu dois rester à la ferme, en silence,
Et que tu boudes, un peu, la pluie va bien cesser.
Mais tu sais, dans le Lot, iI ne pleuvait jamais,
Jamais, ou pas souvent, je peux le certifier,
Et, dans mon jeune temps, l'herbe était mordorée.
On puisait, dans le puits, un peu, et nos gouttières
Envoyaient en citerne, l'eau, pas celle de la rivière,
Celle qui arrivait tombant tout droit du ciel.
Celle que l'on buvait, était pure, et sans fiel,
Elle giclait d'une source, venant de la montagne,
Chantante, elle descendait du Causse de Cascagne.
Et quand elle tarissait, ça arrivait des fois,
Dans le village entier, on priait, quelquefois.
Maintenant, sans arrêt, l'eau coule, au robinet,
Sur l'évier. Dans la salle, on peut prendre le bain.
Moi, je ne l'aime pas, je dois boire du vin.
L'eau est trop trafiquée, elle vient de la rivière,
Sale, où nagent des ordures ménagères.
On a muré la source, pour nous faire acheter,
L'eau, ce cadeau du ciel, qui était merveilleux,
Que Dieu avait donné, qui avait goût de miel,
Pour nous laver, un peu, pour faire le café,
Pour abreuver les bêtes, à midi, au réveil.
Avec cette eau si pure, mes chevaux, orgueilleux,
Profitaient, étaient beaux, leur poil était brillant,
Ils me donnaient l'engrais. A la ferme, à présent
J'achète des grands sacs de cailloux concassés.
On me dlt, répandez, c'est le meilleur engrais.
Il ne sent pas très bon, des fois il sent mauvais,
Pas comme le crottin, les bouses de mes vaches,
Ou le moût du raisin, il sent comme la crasse.
Et je regrette un peu, avec mon beau tracteur,
De labourer ma terre, même, j'ai un peu peur,
Qu'elle se venge un jour, cela je te le jure.
Tu es dans la grand'ville, où tu tries le courrier,
Tu voudrais du soleil, tout le mois de juillet,
Tu boudes, parce qu'il pleut, l'eau, mon pauvre petit,
Qui nous tombe d'en haut, je la recueille ici,
Dans ma girande citerne, et je m'en sers tu vois,
Autant que je le peux. Reste encore avec moi,
Et je te parlerai, de la vie, d'autrefois.

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